Gestion précaire de l’hygiène menstruelle en milieu scolaire, les jeunes filles en détresse

Article : Gestion précaire de l’hygiène menstruelle  en milieu scolaire, les jeunes filles en détresse
Crédit: Fondation Claudine Talon
8 février 2024

Gestion précaire de l’hygiène menstruelle en milieu scolaire, les jeunes filles en détresse

La gestion des menstrues en milieu scolaire constitue un défi majeur pour de nombreuses jeunes filles au Bénin. Entre douleurs abdominales intenses, stigmatisation et manque d’installations sanitaires adéquates, leur quotidien est souvent marqué par l’embarras et l’inconfort. Des projets de sensibilisation et de distribution de kits d’hygiène menstruelle ont déjà eu un impact significatif, mais il reste encore beaucoup à faire pour garantir à toutes les jeunes filles un environnement scolaire sûr et respectueux de leur dignité.

Distribution de kits hygiéniques aux jeunes filles par la Fondation Claudine Talon
Fondation Claudine Talon

La puberté coïncide avec l’apparition des règles ou menstrues chez les jeunes filles qui deviendront plus tard des femmes et vivront ce phénomène jusqu’à la ménopause. Les règles, encore appelées menstruations, sont la libération de sang de l’utérus par le vagin d’une femme. Elles apparaissent une fois par mois. Ce cycle qui se répète tous les mois s’appelle « cycle menstruel ». Au Bénin, il est très fréquent de constater que plusieurs filles dans nos lycées et collèges manquent les cours dès que surviennent leurs règles. Si ce ne sont pas les douleurs abdominales, ce sont les tâches de sang sur leurs uniformes qui les obligent à rentrer à la maison. Selon l’UNICEF Bénin, plus d’une fille sur trois en milieu scolaire perd au moins deux jours par mois de cours à cause des discriminations liées à la gestion des menstrues. Une recherche commanditée par le Forum for Africain Women Educationalists (FAWE/BENIN) sur « Impact de la mauvaise gestion de l’hygiène menstruelle sur le rendement scolaire des collégiennes dans les communes d’Avrankou, de Bohicon et de Parakou » abonde dans le même sens. 34,19% des filles manquent les classes pour cause de menstrues, selon ladite recherche. Discrimination à l’école, difficile accès aux protections hygiéniques, précarité menstruelle, la non inclusion des hommes dans la gestion des menstrues… Autant de tabous qui entourent les règles et qui placent le sujet au cœur de grands débats.

Les menstrues, un calvaire pour les jeunes filles à l’école

Marie, une élève de 16 ans en classe de Seconde au CEG Ekpè 1, raconte ses déboires avec un désespoir palpable : « Chaque mois, lorsque mes règles arrivent, les douleurs abdominales sont tellement intenses que je peine à me rendre à l’école. En classe, je lutte pour me concentrer. Parfois, je dois quitter la salle de classe en plein milieu d’une leçon, impossible de supporter une minute de plus dans cet enfer. Pendant la récréation, je reste souvent seule, repliée sur moi-même, incapable de participer aux jeux ou aux conversations animées de mes camarades ». D’autres filles se sentent embarrassées lorsque leurs vêtements sont tachés de sang menstruel en classe, ce qui peut entraîner une baisse de leur estime de soi. Aïcha, 15 ans, une jeune élève au CEG Ekpè 2, partage son expérience. Elle confie : « Le pire cauchemar de chaque jeune fille est de se retrouver avec une tâche de sang sur son uniforme en plein milieu de la journée d’école. C’est exactement ce qui m’est arrivé il y a quelques mois, et je me souviens encore de la honte et de l’embarras qui m’ont submergée. J’ai essayé de me faufiler discrètement hors de la salle de classe, priant pour que personne ne remarque la tache rouge sur ma jupe. Je me suis cachée aux toilettes, en essayant désespérément de nettoyer la tache avec du papier toilette, mais rien n’y faisait ».  « Cette expérience m’a marquée à jamais. Depuis ce jour, je vis dans la crainte constante que cela se reproduise », ajoute-t-elle avec un air consterné.

Photo de Karolina Grabowska via Pexels

Manque de toilettes adéquates et adaptées dans les écoles

Les écoles et les collèges au Bénin souffrent d’un sérieux problème : un manque évident et urgent de toilettes adaptées aux besoins des jeunes filles pendant leurs menstruations. En effet, dans de nombreuses écoles, les installations sanitaires sont insuffisantes, mal entretenues ou inadaptées, rendant difficile pour les jeunes filles de gérer leurs menstruations de manière hygiénique et confortable. Les toilettes sont mal équipées en fournitures telles que du papier toilette, de l’eau courante, des poubelles et des installations de lavage. Ceci empêche les jeunes filles de se changer, de se nettoyer et de se sentir à l’aise pendant leurs règles. Aussi, l’absence de portes verrouillables ou de séparations adéquates entre les toilettes peut créer un environnement inconfortable et intimidant, augmentant ainsi le risque de stigmatisation et d’embarras pour les jeunes filles. Cette situation contribue à aggraver les difficultés auxquelles sont confrontées les jeunes filles en matière de gestion des menstruations en milieu scolaire, compromettant ainsi leur bien-être, leur santé et leur éducation. Fatou, une élève de 14 ans en troisième année au collège Amour à Ekpè, témoigne : « Chaque mois, quand mes règles arrivent, c’est comme si un défi supplémentaire s’ajoutait à ma journée déjà chargée. Les toilettes de l’école sont vraiment terribles. Il n’y a jamais assez de papier toilette, l’eau est rarement disponible, et il n’y a même pas de poubelles pour jeter les protections hygiéniques usagées ». Elle poursuit avec colère : « Je me sens tellement mal à l’aise et gênée quand je dois me changer dans ces conditions. C’est déjà assez difficile de faire face aux douleurs et aux sautes d’humeur pendant mes règles, mais l’ajout de ces problèmes dans l’école rend les choses encore plus compliquées. ». Malheureusement, au Bénin, l’accès à l’eau potable et la présence d’infrastructures sanitaires sont loin d’être garantis pour la majorité des écoles en zones rurales.

Des actions menées au niveau national

Face à la problématique de l’hygiène menstruelle en milieu scolaire, plusieurs organisations exécutent des actions de réponse. Ainsi la Fondation Claudine Talon mène depuis 2020 le projet « Gestion de l’hygiène menstruelle en milieu scolaire ». En trois ans, ce projet a permis à plus de 11.800 filles d’être formées et à plus de 10.700 garçons d’être sensibilisés à l’hygiène menstruelle dans 98 écoles réparties sur l’ensemble du territoire national. Le projet Plan pour les filles financé par Affaires mondiales Canada a procédé à l’inauguration de 12 modules de latrines séparés filles garçons dans la Commune de Savalou. Ceci pour offrir un environnement d’apprentissage sain aux élèves grâce à un accès à des toilettes adéquates. Les toilettes dédiées aux filles sont dotées d’un coin hygiène menstruelle pour permettre aux filles de mieux gérer leurs menstrues durant leur présence à l’école. En janvier 2022 à Bohicon, la Ministre béninoise des affaires sociales à lancé une campagne de distribution des kits de gestion de l’hygiène menstruelle au profit de 14 000 adolescentes âgées de 10 à 19 ans de 51 collèges de la zone sanitaire Zogbodomè ; Bohicon et Zakpota. C’était dans le cadre de la mise en œuvre d’un projet dénommé UPSHIFT, financé par l’UNICEF avec la distribution de 56 000 serviettes hygiéniques de fabrication locale et des carnets de suivi des menstrues. L’ONG Mata-Yara dirigée par Hermyone ADJOVI a lancé une tournée nationale dénommée « DigniFemme » sur la période 2022-2023. Cette tournée consiste en la distribution de serviettes hygiéniques lavables et réutilisables, et à la sensibilisation à l’hygiène menstruelle. Au total, 6 000 jeunes filles étaient impactées dans les 12 départements.

Les obstacles persistants et les défis à relever

De la recherche commanditée par FAWE/BENIN, il ressort qu’en milieu scolaire comme familial, les jeunes filles manquent d’information justes et utiles sur les menstruations. 93,87% des filles enquêtées ont exprimé le besoin d’information sur les menstruations. En ce qui concerne la pratique hygiénique des menstrues, l’étude a révélé que les bonnes pratiques ne sont pas très répandues. 80,47% des jeunes filles n’ont pas accès aux infrastructures ni aux protections pour mieux gérer leurs menstrues. Alors il devient nécessaire que les autorités éducatives et les décideurs reconnaissent l’importance critique d’améliorer les installations sanitaires dans les écoles et les collèges, en veillant à ce qu’elles soient adaptées aux besoins spécifiques des jeunes filles et qu’elles garantissent leur dignité, leur hygiène et leur sécurité pendant leurs menstruations. Une enquête menée par la Fondation Claudine Talon a révélé que 56% des jeunes filles qui ont leurs règles se sont déjà tâchées à l’école. Parmi elles, 37% ont souffert de moqueries. D’où la nécessité de sensibiliser les garçons. L’objectif étant de limiter leurs comportements moqueurs à l’égard des filles et de développer leur empathie envers ces dernières grâce à une meilleure compréhension des règles. Un grand nombre de jeunes filles paniquent dès l’apparition des premières règles et ont du mal à s’adapter et à bien gérer les menstrues. Ce qui s’explique en partie par l’insuffisance d’implication des parents dans l’éducation sexuelle de la jeune fille avant la puberté, afin de lui permettre de mieux accueillir cet événement. Pour y pallier, le Professeur Charlemagne Ouédraogo, Gynécologue Obstétricien estime qu’une éducation précoce des jeunes filles à la gestion de l’hygiène menstruelle et sur le cycle menstruel est nécessaire. Elles sont aussi nombreuses les filles qui n’ont pas accès à des protections hygiéniques. Or, l’hygiène menstruelle suppose que les adolescentes et les femmes ont accès à des produits sains pour recueillir le sang. Elle suppose également qu’elles ont accès à l’eau et au savon pour bien se nettoyer et bénéficient également de bonnes installations pour bien gérer le flux menstruel.

Rappelons que la bonne gestion de l’hygiène fait partie des services de base en santé de la reproduction auxquels chaque femme et fille ont droit.

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